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À la recherche du lien social perdu

À la recherche du lien social perdu


« Dis-moi de qui et de quoi tu es proche, je te dirai qui tu es » pourrait être une forme de « portrait chinois », ce jeu par lequel on peut approcher une personnalité par des analogies. L’analyse des proximités de chacun, c’est-à-dire de ses liens sociaux, de ses rapports aux autres, à la nature et à l’environnement ainsi qu’à son propre corps et à sa santé, donne une image d’une incroyable précision de ce que nous sommes en tant qu’animal social.

Cependant nos proximités individuelles évoluent avec le temps et notre maturité, avec le monde qui nous entoure, avec les changements de notre vie sociale et professionnelle. Collectivement aussi nos proximités muent avec les idéologies, les modes, les mouvements sociaux et politiques, les idées dominantes.

Depuis le début du siècle nos liens sociaux se sont (progressivement) dégradés. Dans le même temps notre rapport à l’écologie s’est (lentement) amélioré. L’évolution de ces deux types de proximités, aux autres et à la nature, annonce notre espace social à venir.
Il est utile de comprendre pourquoi et comment cette évolution de nos proximités s’est produite, pourquoi ce qui s’annonce est (plutôt) encourageant et en quoi un nouveau contrat social très concret est en train de se dessiner.

Notre société est à un tournant, c’est donc le bon moment pour comprendre de quoi, de qui nous sommes proches et quels sont nos moyens pour « faire société » au XXIe siècle.



Nos notions de proximité sont en train de changer

Certaines proximités s’estompent. La proximité avec notre lieu de travail, nos collègues, à travers les bureaux flexibles, le télétravail, etc. devient plus lâche. La proximité sociale se décompose de façon croissante et hybride entre proximité géographique (physique) et proximité numérique.

Nos proximités sont ainsi en train de se déconstruire, mais aussi, simultanément, de se reconstruire, avec des attentes pour divers types renouvelés de proximités. Par exemple pour des proximités avec des territoires (les commerces de proximité, l’agriculture de la région), avec des produits (le renouveau de l’attrait pour l’artisanat), avec la planète (les mouvements écologiques), avec notre santé et notre corps (l’attirance pour le bio, le regain d’intérêt pour le sport, etc.). On voit même des proximités de solidarité, en cas de crise, avec certaines catégories sociales comme les métiers de « proximité ».

La plupart de ces notions de proximités, au fond, nous ramènent à la proximité avec l’autre, avec le contact humain, avec nos liens sociaux, avec notre place quasi philosophique dans le monde, donc avec nous-mêmes.

Les limites d’une société aseptisée sont atteintes

Il est apparent que le monde aseptisé des interactions en digital a atteint ses limites. Ne plus parler qu’avec des bots, faire ses courses sans conseils, ne plus avoir de contacts humains devient un problème de société. La solitude est d’ailleurs, paradoxalement dans un monde connecté, l’un des premiers maux sociétaux. Le télétravail, c’est bien, mais on ne se fait pas d’amis en télétravail…



Comment expliquer que le contact humain ait autant disparu ?

La révolution digitale en est une cause majeure. Cet outil de compression des coûts de transaction a permis de diminuer les interfaces humaines, que le consommateur aime cette réduction et la disparition de contacts humains qui allaient avec, ou non. Son utilité, considérable, a aussi son côté sombre.

Mais le digital est loin d’être le seul responsable. La recherche, quasi idéologique, de gains de productivité du travail, en maximisant l’utilisation du capital par toujours moins de personnes a clairement contribué à la réduction des contacts humains. Cela va du bus géré par un seul individu au caissier remplacé par une caisse automatique, et bien sûr à l’e-commerce.

Enfin, parmi ces causes de la disparition de contacts humains, la crise d’une culture de service où les emplois de proximité sont dévalorisés et où le mot « servir » n’a plus en France le sens qu’il a aux USA ou évidemment au Japon. La crise du Covid a heureusement montré à nouveau l’importance des métiers de proximité.

Soyons optimistes : les contours d’une façon nouvelle de penser la société et l’économie en termes de proximités sont en train de se mettre en place. Des théories encore considérées il y a peu comme quasi fantaisistes deviennent crédibles et apportent de la rationalité aux nouveaux liens sociaux. C’est par exemple le cas de l’économie circulaire, de l’économie du Donut, de la ville du quart d’heure, de l’économie quaternaire, de l’économie du bien commun, de l’économie participative, de la notion de revenu universel, du capitalisme des parties prenantes (stakeholder capitalism), de l’économie du cycle de vie des produits, de l’économie du recyclage et de la seconde main, etc.



Vers du lien social hybride

Des équilibres nouveaux sont en cours de recherche par tous les acteurs du monde du travail. De même, la prise de conscience, de plus en plus aiguë, et pas seulement par les jeunes, d’un besoin de sens dans le travail, de raison d’être, est un facteur de proximités et de liens sociaux. En effet, la « raison d’être » passe quasiment toujours par des liens humains.

Ne faut-il pas remettre des contrôleurs dans les tramways et les bus pour assurer la sécurité des passagers et des chauffeurs ? Ne faut-il pas remettre des gardiens et des concierges dans les bureaux et les immeubles d’habitation puisqu’ils sont des agents de liaison essentiels ? Il va falloir comprendre quand le consommateur, le citoyen, hybride par nature, veut ou ne veut pas de contacts humains et savoir ne les lui offrir que quand il en a vraiment besoin ; ne pas les lui imposer quand il veut faire seul mais lui proposer quand il le souhaite. La façon de créer du lien social va devenir un avantage compétitif pour les organisations, fussent-elles des entreprises, des villes, des associations.

Le retour du lien humain et des proximités sociétales et écologiques dans la société aura un coût et la question est de savoir qui sera prêt à payer (tout le monde ne peut pas acheter du bio ou des services à la personne) ou qui sera prêt à subventionner les métiers de proximités, et comment. L’utilisateur sera le premier sollicité, déjà de nombreuses hotlines font payer la minute de contact avec un conseiller humain et certaines banques envisagent de faire payer l’accès à un conseiller humain identifié. Pour les métiers de proximités, aujourd’hui (enfin) considérés comme essentiels mais (encore) sous-payés, l’une des implications évidentes est de savoir si une certaine « sociétalisation » du revenu pourra permettre de financer une partie de ce coût. Cette approche est déjà largement commencée à travers les transferts divers, le chômage, les compensations à l’inflation ou au prix de l’énergie, les crédits d’impôt pour les emplois à domicile, demain peut-être par le revenu universel qui pourrait assurer un socle de rémunération.



Des écueils et des possibles

Cultiver les proximités et les liens sociaux est un enjeu sociétal mais certains liens sont plus difficiles à construire que d’autres. Jérôme Fourquet souligne les enjeux d’un archipel français où des îlots se sépareraient les uns des autres. Il est urgent de penser en termes de ponts entre les îles.

Ces ponts entre les communautés humaines vont être d’autant plus importants que des effets pervers sont aussi issus des nouvelles proximités. En effet, qui dit proximité numérique dit aussi e : mobilisation très rapide de groupes de citoyens, parfois minuscules mais vocaux, sur n’importe quel sujet, pouvant dégrader l’image d’une personne ou d’une entreprise, favorisant des théories du complot, encourageant certains communautarismes.

Les nouvelles attentes en proximité, avec la nature, avec la santé et son corps, avec le sens de son travail, avec son environnement géographique, sont autant de nouveaux moyens de se rapprocher les uns des autres en militant pour l’écologie, pour le sport, pour les activités socioculturelles, pour la vie de quartier ou de régions, pour la solidarité entre voisins, pour des actions sociétales des entreprises, etc.

Organisations et citoyens doivent être à l’écoute des nouvelles attentes de proximités et les utiliser pour créer des liens sociaux innovants, des formes de confiance plus robustes. Bref, le lien social est aussi entre nos mains.


Dominique Turcq
Auteur de À la recherche du lien social perdu, vivre et travailler au XXIe siècle. L’Harmattan 2021
 

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