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Zlatan ou le droit de parler dans son bouc

Zlatan ou le droit de parler dans son bouc


Qui n’a pas entendu ou lu les propos, peu amènes, que l’immense joueur Zlatan Ibrahimovic a pu prononcer après une défaite, certes vexante, dans les couloirs qui le conduisaient à son vestiaire… ?
Qui n’a pas glosé sur le caractère excessif, outrancier ou scandaleux des oukazes proférés par ce grand technicien lorsque, hors de lui, il a maugréé  « en 15 ans, je n’ai jamais vu un tel arbitre. Dans ce pays de merde. Ce pays ne mérite pas le PSG ».
A qui s’adressait Zlatan Ibrahimovic, sinon à lui-même ?

Etrange paradoxe que de voir ce public de commères se réjouir de petites phrases assassines tout en s’érigeant en gardien de la morale publique, oubliant immédiatement le plaisir malsain qu’il a pu ressentir à écouter et réécouter, voir et revoir ladite scène sur You Tube… ?
Zlatan parlait dans son bouc et il en avait parfaitement le droit.


Visionner cette scène et relire les descriptions qu’en ont fait tant de journalistes outrés est éclairant

En effet, traversant la cour séparant le stade des vestiaires, le joueur est d’abord capté au bout du couloir puis il se rapproche et permet ainsi à chacun d’entendre distinctement des injures, fruit d’une colère et d’une frustration.
Cette affaire Zlatan  permet aux juristes de confronter le droit au respect de la vie privée (article 9 du code civil et article 8-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme) ou le droit à la liberté d’information (article 10 de ladite Convention).

Nous avons  bien évidemment le droit de penser ce que l’on veut mais aussi  d’exprimer pour soi ce que l’on veut, sans aucune espèce de limite.
L’accusé Zlatan  a parlé pour lui, tout en précisant qu’il s’était exprimé « sous le coup de l’énervement et tout le monde sait qu’à ce moment-là, les mots peuvent dépasser la pensée » ?
Mais il aurait dû se douter qu’à ses côtés, en plus de l’arbitre, intervenait une tierce personne, en partie responsable du retentissement des injures d’après match.
Cette tierce personne c’est le journaliste qui a capté cette scène, les propos volés et qui a choisi de les diffuser.

Or c’est bien la diffusion de ces injures qui me semble discutable.
Zlatan Ibrahimovic était-il sur un plateau de télévision, répondait-il à un journaliste micro à la main ? Signait-il une tribune dans la presse écrite ou participait-il à une émission, à un reportage, un documentaire ?
Non : il  rentrait vers les vestiaires avec ses coéquipiers à la fin d’un match. Il avait quitté la scène- le terrain de football- pour laisser libre cours à ses humeurs, sa colère ou sa violence.
Le « média » n’est-il pas responsable du retentissement de tels propos… ?

De son côté, le Syndicat des arbitres de football d’élite (SAFE) s’est bien évidemment dit indigné par ce dérapage rappelant qu’il y avait des limites à ne pas et à ne plus franchir mais précise que « Le retentissement de tels propos n’est pourtant pas anodin sur les plus de 25 000 arbitres – un bien petit pays, en somme – qui peuplent nos championnats. Le retentissement est même terrible en définitive, avec des phénomènes de violence qui s’amplifient dans les footballs de nos campagnes les plus reculées ou de nos cités les plus difficiles. Là où l’arbitre est souvent bien seul et très exposé ».
Qui est en effet responsable de ce retentissement, sinon celui qui épie, capte et qui diffuse ?

La station de radio RMC prétendra par la suite que le joueur parisien aurait même prononcé d’autres insultes, à l’encontre de l’arbitre du match, alors qu’il était encore dans les couloirs du stade, à un endroit où une caméra n’avait pu se faufiler.…
D’autres propos non captés… mais toujours diffusés !

Aussi, il n’est pas inutile de rappeler que le droit pénal français a érigé la protection de la vie privée au rang des valeurs sociales en visant notamment les articles 226-1 et 226-2 du Code pénal : « la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, punissant ceux-ci d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende et punissant en outre des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document privé ou confidentiel obtenu illicitement, sans autorisation … »
On opposera sans doute que Zlatan Ibrahimovic, personnage public, devait se douter qu’il pouvait être filmé quand bien même il était hors scène, et que les propos retranscrits par la presse, sans son autorisation, serait de nature à alimenter un débat d’intérêt général …
Le débat juridique se pose, au niveau même des juridictions européennes.
 

Cette histoire de footballeur aux propos volés en rappelle une autre…


En effet, lorsque le sulfureux Nicolas Anelka à la mi-temps d’un match France-Mexique s’était emporté en des termes injurieux et virulents à l’encontre du sélectionneur, Raymond Domenech, celui-ci avait décidé de ne pas le faire jouer lors de la deuxième mi-temps dudit match …
Outre la défaite, les passionnés de football se souviennent surtout que le quotidien L’Equipe avait cru bon faire la une de son édition en reprenant les injures qu’aurait proféré Anelka :
 « Va te faire…, fils de… » .
Or,  ces propos, qui se sont avérés déformés, ont été tenus dans un vestiaire, enceinte  jusqu’alors préservée…
L’auteur de ces injures n’était pas le responsable de leur diffusion et par là même étranger à leur retentissement…


Que penser de la responsabilité du journaliste ?


Après la sanction prononcée par la Commission de discipline de la Ligue de football professionnelle, le PSG a dénoncé « le nombre de caméras et de micros des chaines du groupe Canal Plus, qui entourent l’équipe en toutes circonstances, et la possibilité d’un jugement à posteriori après la diffusion d’images retenus comme preuves à charge… ».
Devant la commission de discipline, le match était déséquilibré !
Trop de transparence tue le droit à une certaine intimité…
En attendant la prise de conscience salutaire, reconnaissons à Zlatan le droit de continuer à parler dans son bouc…

 

Mario-Pierre Stasi
Avocat à la Cour
Vice-président de la LICRA
 

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