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Réconcilier l'Etat avec ses grandes entreprises internationales

Réconcilier l'Etat avec ses grandes entreprises internationales


Une synergie est pourtant nécessaire. Contrairement à une idée reçue, elle est en effet la règle dominante dans un monde où les rapports de force géopolitiques se matérialisent, aussi, dans le champ économique.  

 

Les grandes entreprises internationales – ou firmes transnationales (FTN) – constituent-elles des acteurs géopolitiques autonomes ? Très en vogue dans les années 1980-1990, la thèse de l’effacement de l’État-nation au profit des firmes transnationales reste une opinion largement partagée. Le « retrait de l’État » (titre d’un livre de l’économiste Susan Strange) de la sphère économique et financière y a largement contribué. La montée en puissance du volume d’affaires de ces entreprises en attesterait : ne disposeraient-elles pas de marges de manœuvre infiniment supérieures à bon nombre d’Etats désormais « en faillite » ? Mais c’est surtout leur capacité à contraindre l’environnement géopolitique selon leurs besoins, notamment par leurs capacités d’ « influence normative », qui a alimenté l’idée de leur toute-puissance.

 

 

Des entreprises de dimension mondiale, mais inscrites dans des logiques nationales

 

Il faut savoir revenir aux sources. Dans le Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie (PUF, 2011), Pascal Gauchon rappelle que ce sont les États-Unis qui ont initié le développement de ces firmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. « Le gouvernement américain, pour accélérer sa reconstruction, encourage ses entreprises à s’installer à l’extérieur, en particulier en Europe ». Longtemps décentralisées et fondées sur une logique de la demande, les FTN n’acquièrent leurs caractéristiques contemporaines qu’à la faveur de la crise de 1973 et de la mondialisation. Se concentrant désormais sur l’offre, conçue comme universelle et sur une chaîne de production internationalisée, les firmes multinationales d’aujourd’hui se veulent « multiculturelles et multi présentes sur le marché mondial ».

 

Elles restent cependant largement ancrées sur un territoire national, à partir duquel elles se lancent à la conquête de marchés mondiaux, et sont dans les faits bien davantage « transnationales » que réellement « multinationales ». Le sociologue Michael Hartmann en veut pour preuve l’origine des dirigeants de ces firmes transnationales : « En moyenne, la proportion de dirigeants étrangers ne dépasse pas les 5 %. Même au sein des multinationales les plus influentes du monde, le gratin se recrute chez soi » (Le Monde diplomatique, août 2012). Mieux : élites politiques et économiques sont souvent issues des mêmes écoles ou formations !

 

 

Du nécessaire tandem Etat / entreprises

 

Dans la Revue Géographique de l’Est, le professeur Chalom Schirman estime ainsi « que l’émergence de nouveaux acteurs géopolitiques non étatiques ne conduit pas pour autant à la disparition des États, de la souveraineté et des frontières. S’agissant des firmes, celles-ci restent en définitive largement tributaires de l’État dont elles sont les hôtes ». Cette réalité s’applique à peu près dans tous les pays de la planète, où chaque sphère se nourrit mutuellement. C’est pourquoi la suspicion, parfois réciproque, entre Etat et entreprises ne constitue pas seulement un anachronisme. C’est une faute à l’heure de la compétition économique exacerbée. Les entreprises françaises ont besoin d’être soutenues, tandis que l’État doit pouvoir s’appuyer sur des acteurs économiques à même de défendre les avantages compétitifs du pays. Et donc l'emploi.

La France éprouve les plus grandes difficultés à mêler de façon saine politique et économie. Pourtant, l’interaction du politique avec le monde des affaires ne signifie pas forcément que « le politique fait des affaires ». C’est prendre acte d’une réalité qui s’applique à peu près dans tous les pays de la planète, où chaque sphère se nourrit mutuellement. L’exigence de transparence en matière de politique économique ne devrait-elle pas être réservée à la seule suspicion de malversation ou de corruption ?

 

Jean-François Fiorina

Directeur de l'Ecole supérieure de commerce (ESC) de Grenoble 

 

 

 Pour aller plus loin :

·         « Le mythe de la « classe globale », par Michael Hartmann, in Le Monde diplomatique, août 2012 ;

·         Firmes, géopolitique et territoires, dossier spécial de la Revue Géographique de l’Estvol. 50, 2010 ;

·         Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, sous la direction de Pascal Gauchon, PUF, 2011

·         Mondialisation et système productif, par Laurent Carroué, in Géographie et géopolitique de la mondialisation, Hatier, 2011

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