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Quelques réflexions liées à la nomination d'un directeur pour l'Opéra de Paris

Quelques réflexions liées à la nomination d'un directeur pour l'Opéra de Paris


L’affaire est bien connue, ne serait-ce que parce qu’elle est cyclique : tous les lustres ou à peu près, lorsque se profile le terme du mandat du patron de la Grande Boutique, le milieu est saisi de transes rituelles. Le microcosme lyrique n’est que rumeurs, les on-dit prolifèrent pendant les entractes, les campagnes se mènent à bas bruit, à grands coups d’intox et de manipulations.

Le choix du successeur de Stéphane Lissner n’échappe en rien à cette tradition qui pourrait prêter à sourire si elle n’était pas, d’abord, la manifestation d’une formidable immaturité collective.

La séquence, pourtant, mérite que l’on s’y arrête, car elle dit beaucoup.

Elle dit d’abord la place qu’occupe l’Opéra national de Paris dans le paysage culturel national. Cette place centrale, écrasante diront certains, se mesure par l’ampleur du soutien qu’il reçoit des pouvoirs publics depuis sa création. Cette institution, historiquement « fait du prince » au sens premier du terme, a conservé tout au long de son histoire tumultueuse une proximité évidente avec le prince. Cette proximité se manifeste de manière criante lorsque vient le moment de lui choisir un nouveau directeur.

A chaque période de transition pour la désignation d’un directeur pour l’Opéra de Paris, on assiste donc à la même joute, mi-farce, mi-tragédie, personnalisée à l’excès, où invariablement, on glose à l’envi sur l’arbre en évitant soigneusement de s’interroger sur la forêt.

Essayons donc d’échapper à cette tentation. Sans aller jusqu’à la rédaction d’un cahier des charges exhaustif (le ministère de la Culture est là pour ça !), esquissons quelques-unes des qualités que doit réunir celui -ou celle- qui, à l’été 2021, succédera à l’actuel directeur.



Choisir un directeur pour l’Opéra national de Paris suppose peut-être de définir ce que doit être une maison d’opéra de niveau international, qui prétend à juste titre jouer dans la cour des (très) grands.

Une vraie maison d’opéra n’est pas une coquille vide dont l’ambition se résume à l’accueil de spectacles bien léchés, mais une grande entreprise, qui peut et doit compter sur ses forces vives : orchestre, chœur, ballet, ateliers de décors et de costumes, personnels administratifs, etc. Une maison d’opéra, et singulièrement l’Opéra de Paris, se caractérise par la cohabitation de deux populations : ceux qui y travaillent au quotidien et ceux qui y viennent le soir. Rappelons cette évidence pourtant trop souvent occultée : sans ceux qui font le spectacle, il n’y a pas de spectacle. Appliquée à l’Opéra de Paris, l’expression « forces vives » prend tout son sens. Le savoir-faire, l’excellence, le professionnalisme, l’attachement profond à cette maison séculaire, le sens de l’engagement de ses personnels à tous les niveaux : voilà bien la première force de l’Opéra de Paris. Cette force, qui fonde dans la durée le rayonnement de la maison, mérite considération (notamment et surtout lorsque les temps sont difficiles, comme c’est le cas actuellement pour le corps de ballet).

Le directeur, quel qu’il soit, n’est pas seulement chargé de la programmation et de la distribution des ouvrages. Il ne doit pas répugner à la gestion de l’humain, essentielle dans cette maison. Au moins autant que « super-programmateur », il est aussi responsable de l’administration générale, de la gestion des 1600 personnels permanents, des relations avec les syndicats, les mécènes, les médias, la tutelle, le public. Il ne saurait, sous peine d’amères déconvenues, négliger cet aspect de sa mission, en se réfugiant dans le rayonnement extérieur de l’institution, certes plus gratifiant, et considérer que « l’intendance suivra ».

Il doit certes gérer le présent, par essence chronophage, mais aussi se projeter dans l’avenir. Il lui revient d’incarner la maison vis-à-vis de l’extérieur, mais aussi d’avoir pour elle une vision sur le long terme. Cela doit, nous semble-t-il, conduire à écarter les candidats qui ne vivent que pour le présent, et ne se fixent comme ambition que la création d’un buzz permanent et assez largement factice. Celui qui incarne est celui qui a un vrai charisme, qui dispose d’une vaste culture, qui aime les artistes, y compris leurs faiblesses, tous les artistes, de la prima donna à l’accessoiriste.

Pour réussir, il lui faut une force de caractère (en réalité : une force d’âme) peu commune, tant les difficultés abondent, la moindre d’entre elles n’étant pas le fait d’être en permanence soumis au jugement souvent lapidaire des innombrables Beckmesser de profession qui pullulent dans la lyricosphère. Aussi le directeur nouvellement nommé aura-t-il soin de ne jamais oublier que ceux qui s’agitent le plus sur les réseaux sociaux ne sont pas représentatifs du public qui remplit les salles au quotidien et ne devra pas s’en laisser conter par les anathèmes auxquels, inévitablement, il sera confronté.

A cet alliage déjà rare de qualités, il en faut rajouter une, à nos yeux essentielle : une connaissance des spécificités propres à l’Opéra de Paris et un attachement profond à cette maison. Connaître les spécificités de l’Opéra de Paris, si intimement liées à son histoire, c’est d’abord admettre qu’elles existent. Vouloir, par naïveté ou par calcul, y plaquer de manière aveugle des recettes standardisées éprouvées ailleurs est sans doute le meilleur moyen d’y échouer.



Quelques mots sur la politique artistique. L’Opéra de Paris a montré, notamment au cours des dernières années, sa capacité à réunir des distributions que Milan, New York, Londres ou Vienne pourraient envier, pour des productions qui furent autant d’événements. Combien de ces productions pourtant seront reprises ? Au prochain directeur général de l’Opéra de Paris et à ses équipes, il reviendra donc de constituer un répertoire permettant à l’institution d’avoir dans ses réserves un nombre suffisant de productions éprouvées couvrant un large répertoire. Il devra veiller à ce que ce répertoire ne néglige pas le patrimoine légué par les compositeurs français (Berlioz, Bizet, Gounod, Massenet, Meyerbeer, Offenbach...) et faire entendre, en plus des grands chefs-d’œuvre incontournables, les ouvrages composés pour l’Opéra de Paris. Encore faut-il connaître et apprécier ce répertoire, qui regorge de pépites. Certes, on peut miser sur les exhumations d’œuvres, mais à ce niveau de responsabilité, le pari semble audacieux.

En ces temps où la dépense publique est revisitée en profondeur, le futur directeur de l’Opéra de Paris, tout en poursuivant la démarche de diversification de ses sources de financement, devra veiller au meilleur emploi possible des ressources que l’Etat, via le ministère de la Culture, lui alloue. Cela passe nécessairement par une politique tarifaire et une communication ciblées afin de pouvoir vendre chaque jour les 4600 places des deux salles. Il lui faudra pour cela avoir le courage de rompre avec la politique tarifaire qui a cours depuis près de 15 ans, baisser le prix des places pour enfin cesser de brader les invendus, et pour cela viser une baisse des coûts de production en évitant les trop fréquents gaspillages tout en négociant au mieux les cachets des artistes.



On pourrait poursuivre à l’envi cette énumération dans un catalogue qui n’aurait rien à envier à celui dressé par Leporello.

On remarquera pour finir que le profil idéal pour ce poste n’existe pas. Il faut une fois pour toutes en finir avec le mythe de l’homme -ou de la femme- providentiel. Les attentes placées dans l’Opéra de Paris ne sont pas les mêmes selon que l’on est spectateur occasionnel, afficionado, mécène, ministre de la Culture, ministre du Budget, amoureux du ballet ou de l’art lyrique, personnel travaillant dans la maison. Il serait vain et illusoire de prétendre contenter chacun. Humblement, on se contentera pour conclure de formuler deux vœux : le premier, c’est que le futur directeur général de l’Opéra de Paris prenne ses fonctions avec la conviction profonde que l’on ne construit rien de grand pour l’Opéra de Paris sans l’Opéra de Paris. A l’Opéra de Paris la seule star qui soit, ce n’est pas son directeur, c’est l’Opéra de Paris ! Le second, c’est que par une politique artistique ambitieuse et innovante, il fasse s’allumer chez le plus grand nombre l’étincelle qui procure ce frisson majuscule que seul l’opéra peut offrir.

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