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L'avenir de l'Euro : de la monnaie unique à la monnaie commune

L'avenir de l'Euro : de la monnaie unique à la monnaie commune


Tenter d’analyser l’avenir de l’euro ne peut se projeter sans un rappel rapide de son histoire, même si elle est courte. Les problèmes que cette monnaie unique pose avec acuité nous incitent à concevoir sa mutation qui s’ordonnerait autour de deux solutions.


I – Le passé


A – Rappel


La construction de l’Europe s’est élaborée en faisant appel à deux mouvements qui se voulaient parallèles : celui de l’approfondissement et celui de l’élargissement. Force est de constater qu’ils sont devenus plutôt divergents. En effet le point d’orgue de l’approfondissement a été la volonté d’adopter il y a une quinzaine d’années une monnaie unique pour quinze états qui y étaient éligibles au sein d’une zone euro. Dans cet esprit, selon la formule de Jacques Rueff, l’Europe se ferait par la monnaie ou ne se ferait pas. A la réflexion l’Europe politique n’a confirmé ni les réalisations économiques ni les réalisations monétaires alors qu’au même moment l’élargissement la conduisait à doubler le nombre de nations qui y ont adhéré et qui la composent.
Le déséquilibre entre le politique et le monétaire apparait de plus en plus difficile à gérer puisque la zone euro s’est dotée d’une monnaie et celle-ci est orpheline d’un Etat1. Un tel phénomène ne peut résister à la dure réalité des faits. « Les pays de l’Union monétaire européenne ont institué un pouvoir monétaire unifié, concentré entre les mains de banques centrales indépendantes, sans se doter d’un pouvoir politique de même échelle territoriale. Ce déséquilibre institutionnel est intenable à terme, car l’Union n’est pas véritablement dotée des atouts démocratiques nécessaires pour qu’on la reconnaisse souveraine, ne serait-ce que dans le domaine monétaire » (Dominique Plihon – La monnaie et ses mécanismes – Repères - La Découverte 2013).


B – Les hypothèses prévalentes


Aussi, face à ce vide certains prônent une accélération de l’approfondissement2 c’est-à-dire la marche à pas renforcés vers la création d’un Etat fédéral ce qui impliquerait pour celui-ci d’être doté d’un budget du même nom qui devrait se situer à plus de 15 % du produit intérieur brut (PIB) de l’ensemble des pays constituant cette zone monétaire ainsi que le préconise Jurgen Habermas. Mais avec un budget gravitant autour de 1% de ce produit intérieur brut, nous sommes bien loin du compte et pour y arriver cela demanderait non pas un quinquennat mais un quart de siècle. Le saut fédéral ne peut être qu’utopique.
D’autres prônent, l’abandon pur et simple de cette unité monétaire et le retour à des monnaies nationales pour chacun des pays membres de la zone. Une telle solution apparaitrait comme un retour en arrière, traumatisante ex ante et nul doute le serait ex post3.
En toute hypothèse l’adoption de l’euro par un nombre progressif d’Etats s’est traduite pour eux par une triple abdication : cambiaire d’abord – monétaire ensuite – budgétaire enfin, lesquelles se sont traduites par un triple fixisme au plan de la parité de change, de la politique monétaire et des limitations budgétaires uniques pour l’ensemble de pays membres. En réalité une triple servitude pour des pays dont les économies deviennent de plus en plus divergentes4.
Cela dit, la Banque centrale européenne (BCE) étudierait trois modalités pour procéder à un assouplissement quantitatif (quantitive easing ou QE) en matière de monétisation des créances souveraines. L’une d’entre elles serait que les banques centrales nationales (BCN, comme la Banque de France) rachètent elles-mêmes la dette de leurs Etats respectifs, ce qui éviterait de mutualiser les risques au niveau de l’Euro système. Il y aurait là en l’espèce une nationalisation partielle de la politique monétaire et un retour vers la souveraineté nationale dans ce domaine5.


C- Des solutions réalistes


A l’évidence, en l’état actuel de la conjoncture globale de la France, de l’Europe et du Monde, l’avenir de l’euro n’est pas brillant. A priori le bateau européen coule, a déclaré tout récemment Christine Lagarde, directeur général du Fonds monétaire international (FMI). Il faut donc jeter du lest. Cela ne peut être qu’à partir de l’euro, ce virus de l’Europe, soit en l’abandonnant soit en le changeant.
Dans cette dernière hypothèse deux formules peuvent être préconisées : l’une faisant appel à un nouveau système bi-monétaire l’autre à la mise en place d’un système mono-monétaire.

 


II – Un système bi-monétaire


A – L’économie du mécanisme


En son sein coexisteraient deux monnaies, l’une – internationale – réservée aux transactions externes. Il s’agirait de la monnaie commune à tous les pays membres de la zone. Cela devrait être l’euro. L’autre nationale, pour chacun des pays membres réservée aux seules transactions internes. Il y aurait autant de monnaies nationales que de pays membres de la zone. Pour la France cette unité monétaire serait le franc à une parité à déterminer.
Il appartiendrait à la banque centrale du système de gérer la parité de la monnaie internationale et les réserves de change de l’ensemble des pays de la zone, à priori, ce serait l’actuelle Banque centrale européenne (BCE). Par là les pays membres de la zone ne récupéreraient pas leur souveraineté en matière de politique de change laquelle serait toujours du ressort de la même banque centrale européenne.
Naturellement un tel bi-monétarisme implique pour chacun des pays d’organiser les rapports des monnaies nationales réservées aux transactions internes avec la monnaie internationale par définition commune.


B – L’organisation des rapports


Une telle organisation entre les deux monnaies pour chacun des pays pose le problème du choix entre un système de parité fixe ou un système de parité variable entre les monnaies internes et la monnaie internationale.
Le choix d’un système de parité variable entre chacune des monnaies nationales et la monnaie internationale entrainerait des appréciations ou des dépréciations possibles en fonction du cours des différentes monnaies nationales sur les marchés. Autrement dit la monnaie nationale flotterait par rapport à la monnaie internationale et sa convertibilité externe serait ouverte aux résidents.
Il est à craindre que dans un système de monnaies librement convertibles en cas de difficulté propre à un pays, la monnaie nationale soit abusivement convertie en monnaie internationale. A cet égard jouerait à plein le fameux triangle des incompatibilités de Mundell, en vertu duquel il est impossible de combiner les trois éléments suivants : la fixité des parités de change, la mobilité des capitaux et l’autonomie de la politique monétaire. En d’autres termes la libéralisation des capitaux n’est possible que s’il y a abandon de la politique monétaire à moins de renoncer à la fixité des parités de change. D’où la difficulté d’instaurer un tel système, susceptible de conduire à des mouvements erratiques de capitaux et à une grande instabilité des changes.
En revanche, le choix d’un système de parité fixe entre les différentes monnaies nationales et la monnaie internationale impliquerait l’établissement d’un contrôle des changes vis-à-vis de tous les pays tiers y compris ceux de la zone afin de défendre cette parité fixe.
Chaque pays récupérerait sa souveraineté en matière de politique monétaire portant sur les taux d’intérêts et le volume de sa masse monétaire. En cas de tension sur une monnaie nationale la banque centrale du pays concerné se trouverait devant le choix d’élever les taux d’intérêt ou de procéder à un ajustement de la parité fixe par le recours à une dévaluation externe, alors que symétriquement d’autres pourraient faire l’objet de réévaluation.
Chaque pays récupérerait également sa souveraineté budgétaire qui résulterait de ses recettes libellées en monnaie nationale et serait approvisionnée par les prélèvements obligatoires opérés auprès des résidents garants de la solvabilité nationale. Ces prélèvements obligatoires permettraient de financer les dépenses budgétaires et en particulier le versement de prestations libératoires aux résidents.


C – Les avantages et les inconvénients de cette formule


En cas de coexistence des monnaies nationales et de la monnaie internationale il ne serait pas porté atteinte à la structure de l’Union économique et monétaire avec notamment le maintien d’une banque centrale commune.
Autre avantage, les pays membres n’auraient plus à se préoccuper de l’équilibre de leurs finances publiques internes pour lesquelles ils seraient seuls responsables du taux de déficit et du montant de l’endettement.
L’inconvénient majeur résulte de l’augmentation de l’endettement vis-à-vis des non résidents, toujours exprimé en monnaie internationale. Cet endettement serait majoré en cas d’écart divergent négatif entre une monnaie nationale (interne) et la monnaie internationale (externe). Sans compter que tout système bi-monétaire conduit à ce que la mauvaise monnaie chasse la bonne, comme nous le savons depuis Gresham. D’ailleurs dans le système monétaire de son époque qui était celui du bi métallisme or et argent, la mauvaise monnaie – l’argent – a chassé la bonne – l’or. En effet dans le langage courant lorsqu’on se réfère à la monnaie l’on parle d’argent et jamais d’or.
La complexité de ce système et ses difficultés de mise en pratique – et en particulier la mise en place d’un contrôle des changes – nous conduit à privilégier l’adoption d’un système mono monétaire.

 


III – Un système mono monétaire


Dans cette optique, esquissons les caractéristiques de cette solution et les risques et les avantages qu’elle comporte.


A – La solution


Consisterait à partir du système existant et avant que les marchés déclenchent une désintégration anarchique de l’euro – une gestion pragmatique de celui-ci par les pays membres de la zone euro pourrait s’imposer6.
En effet bien que l’actuelle banque centrale, sise à Francfort, soit européenne, les billets émis par chacune des banques centrales nationale (BCN) ne le sont pas. Cette affirmation résulte de notre Code monétaire et financier, lequel dans son article 1er du chapitre 1er intitulé l’unité monétaire nous rappelle « que la monnaie de la France est l’euro » et « que l’euro est divisé en cent centimes »; Autrement dit l’euro est notre monnaie et a vocation à le demeurer.
L’on peut en déduire par transposition que l’euro est la monnaie de chaque Etat membre de ladite zone. Cette donnée fondamentale est illustrée par le fait que les pièces de monnaies ont pour chaque Etat une face nationale et que les billets ont un code national qui précède le numéro de chacun d’entre eux : la lettre U pour la France, X pour l’Allemagne, Y pour la Grèce et ainsi de suite. Ce qui signifie que toutes les monnaies dont la nôtre ont gardé leur ancrage national.
Autrement dit les émissions de billets pour l’ensemble des pays de la zone sont déjà segmentées en compartiments correspondant aux sous ensembles nationaux, aussi pour ce qui nous concerne rien n’interdirait de débaptiser notre unité monétaire – l’euro – en euro-franc. Et cela ne changerait en rien la nature et la valeur de notre unité monétaire.
Ainsi une banque commerciale française dont les déposants – résidents ou non – souhaiteraient convertir leurs avoirs en compte en billets, se verraient offrir des billets portant explicitement la mention « euro-franc » ajoutée au signe distinctif U. Autrement dit, un euro franc serait la stricte réplique d’un euro7.
Ces billets libellés en euro-francs cohabiteraient avec les autres euros nationaux et pourraient donner lieu à des dépréciations ou à des appréciations en fonction de leur cours sur les marchés des changes lesquelles tempéreraient le passage d’une euro monnaie à une autre et par-là ne nécessiterait pas l’établissement d’un contrôle des changes.


B –Les risques


Quels sont les risques d’un tel passage pour les Etats qui adopteraient une telle réforme ? La réponse procède de la définition de la monnaie : c’est pour ceux qui la détiennent – qu’ils soient résidents ou non – des créances sur l’appareil bancaire des pays concernés. En l’espèce des avoirs en compte ou la monnaie dite scripturale (de banque) puisqu’ils correspondent à des créances sur les banques commerciales et des avoirs en poche – les billets ou la monnaie dite fiduciaire (manuelle) lesquels correspondent à des créances sur les banques centrales.
Ainsi le passage dans un pays donné, de l’euro-euro à l’euro national ne changerait en rien la nature et le montant des dettes des pays qui opteraient pour cette nouvelle dénomination. Par ailleurs, la masse monétaire de chacune de ces monnaies a pour contrepartie des crédits pour l’essentiel sur chacune des économies nationales. En définitive, en matière monétaire tout se ramène aux territoires nationaux.
Pour prendre l’exemple le plus sensible : le système bancaire grec serait toujours redevable vis-à-vis de ses créanciers du même montant en euros dont la dénomination aurait simplement changée et serait devenue des euro-drachmes8.
En revanche les détenteurs d’euro drachmes pourraient voir la valeur de leur créance se contracter, mais seulement s’ils sont non résidents – et dans cette hypothèse – ils verraient la valeur de leurs créances se déprécier parallèlement à l’évolution de l’euro-drachme sur les marchés internationaux. Si d’aventure ils décidaient de les céder à ce moment-là leur perte serait matérialisée; autrement dit, les perdants potentiels ne seraient pas les résidents mais les non résidents détenteurs de créances monétaires.
Ce qui est vrai pour les avoirs monétaires le serait aussi pour les avoirs obligataires – dont les dettes souveraines – lesquelles seraient au terme de leurs échéances respectives payées en euros nationaux c’est-à-dire en euro drachmes pour la Grèce et ce à leur valeur nominale c’est-à-dire à leur prix d’émission.
Naturellement ces créances ne verraient pas leur valeur nominale modifiée par cette mutation monétaire spontanée – des euro- euros – en euros nationaux, mais leur valeur serait appelée à fluctuer en fonction de leur prix sur les marchés secondaires.
Aussi pourrait-on très bien imaginer que face à une dépréciation significative des créances sur ces marchés, leurs détenteurs et exclusivement les banques et entreprises non résidentes – seraient conduites à constituer des provisions compensatoires.
Mais rien n’interdirait de penser que ces provisions pourraient être reprises en cas d’appréciation ultérieure de la valeur de leurs créances sur les marchés, due à une prospérité retrouvée, grâce à une politique économique indépendante susceptible d’entrainer un retour à la croissance et à une évacuation du chômage de masse. Cela pourrait tout particulièrement jouer pour la Grèce qui retrouverait ainsi la compétitivité de son industrie touristique.


C – L’ avantage


L’avantage considérable de cette formule résulte de l’application du nominalisme monétaire qui, en l’espèce, veut qu’un euro national quel qu’il soit, vaille toujours nominalement un euro-euro. Seuls les détenteurs non résidents d’euro nationaux pourraient voir éventuellement la valeur de leurs créances se déprécier sur les marchés tant qu’elles ne sont pas arrivées à leur échéance respective – moment auquel ils en récupéreraient – rappelons-le – la totalité à leur valeur nominale.
L’euro zone redeviendrait une zone monétaire soutenable et durable; l’Allemagne9 n’aurait plus à effectuer des transferts financiers qui s’annoncent sans fond et la Grèce à supporter un appauvrissement qui s’annonce sans fin.
Dans ce nouvel univers monétaire, chacun retrouverait sa compétitivité globale sur les marchés des biens et services sans avoir à rendre compte à une quelconque troïka en cas de difficulté, laquelle aurait été par avance résolue et éliminée par l’adoption de changes multiples ou autonomes en lieu et place d’une monnaie unique. La France retrouverait ainsi sa souveraineté cambiaire tout en conservant l’euro.
Et enfin, ultime avantage de la formule : rien n’interdirait aux différents euros nationaux de se mettre en parité fixe les uns par rapport aux autres et ce à parité modifiée ou à parité retrouvée. Une telle hypothèse est tout-à-fait imaginable si l’on se réfère à celle de l’euro par rapport au dollar qui est passé d’abord de 120 cents, son cours d’introduction à 80 cents et ensuite de 160 cents à 120 cents et retrouver ainsi son cours d’introduction quinze ans après celle-ci.
De telles appréciations ou dépréciations sont préférables à des réévaluations ou des dévaluations, et surtout à des dévaluations dites internes, c’est-à-dire l’ajustement des salaires et des retraites à la baisse – prônées par notre partenaire allemand – qui frappe l’ensemble des revenus des agents économiques et pas seulement celui des exportateurs. D’ailleurs, la France jusqu’à présent n’a pas voulu s’engouffrer dans cette voie afin de préserver son modèle social, en fait exercer sa souveraineté sociale en toute plénitude, souveraineté à laquelle les citoyens sont plus qu’à tout attachés.
Paradoxalement le maintien de l’euro devenu euro franc pour la France impliquerait sa sortie de l’Union économique et monétaire. Cela se traduirait par le rapatriement de notre quota de réserves publiques de changes de Francfort à Paris dans les caisses de la Banque de France. Ce mouvement serait accompagné par la cession des actions détenues par le Trésor français dans le capital de la Banque centrale européenne.
En définitive, par la nationalisation de l’euro, la France pourrait ainsi reprendre en mains la maîtrise de son destin monétaire, élément fondamental de sa souveraineté, et redevenir par là, Prince dans sa République, autrement dit Paris primerait Bruxelles, Francfort et New York. Pour la France, une nouvelle politique économique : c’est maintenant !
Celle-ci s’exercerait au sein de l’Union européenne dont la France ferait toujours partie. Elle n’a pas à quitter l’Europe qui est une réalité géographique, historique et économique. Son avenir ne peut se déterminer qu’à partir de cette économie monde, selon la formule de Fernand Braudel.



Bruno Moschetto
Professeur de sciences économiques à l’université Paris I et à HEC
Auteur de Tout savoir ou presque sur la face cachée de l’euro aux éditions Arnaud Franel

Articles référencés

(1) La zone euro orpheline de gouvernement économique-Jean Arthuis – Le Figaro – 2 Mars 2013
(2) L’euro entre intégration et éclatement – Nicolas Baverez - Revue Espoir - Décembre 2014
(3) Zone euro : faut-il rester ou en sortir ? – Thierry Pouch – Paysans et Société – Janvier/Février 2014
(4) Le mythe de la convergence – Michel Honechsberg - Revue Banque – Juin 2012
(5 ) La BCE étudierait trois options pour son plan d’achat de dettes – Isabelle Couet – Les Echos – 7 Janvier 2015
(6) La voie la plus sage est de mettre fin à l’euro de façon bien planifiée – Luiz Carlos Bresser – Pereira – Le Monde 7 Août 2012
(7) L’euro est mort vive l’euro franc – Dominique Garabiol et Bruno Moschetto – Le Monde 30 Septembre 2011
(8 ) Une sortie pour la Grèce : l’euro drachme – Bruno Moschetto – Le Monde – 28 Mai 2012
(9) L’Allemagne « Triple A » : Pays pauvre – Thomas Schnee – Le Courrier - 27 Février 2012





 

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